Burgess Memories: Pierre Assouline
-
Pierre Assouline
- 14th February 2018
-
category
- Burgess Memories
-
tagged as
- Anthony Burgess Memories Project
- Burgess 100
Orange mécanique est d’une brûlante actualité ; seule manque à sa violence la dimension raciale pour être tout à fait moderne. Burgess, à qui l’on doit le roman à l’origine du film, avait inventé sa propre langue pour les nécessités de l’histoire. Kubrick avait pris de grandes libertés avec son ultime chapitre, ce qui ne lui avait pas plu car cela faussait le sens de l’histoire. En fait, il s’était basé non sur la version anglaise de 1962, où le héros devenu adulte rejette la violence comme un jouet infantile, mais sur la version américaine dans laquelle l’apologie du libre arbitre était devenu une invitation au pêché. Mais cela restait une réflexion sur la violence de l’individu lorsqu’elle est jugée préférable à la violence d’Etat.
Un jour de 1988, Anthony Burgess m’avait donné rendez-vous dans un vieux théâtre d’Amsterdam où il avait l’intention de diriger une symphonie. La journée ne fut pas triste car il pétaradait de souvenirs, de saillies, d’imprécations. Tout y était passé dans un festival de citations enfumées, embrumées mais souvent géniales : l’adaptation qui ne lui avait rapporté que 500 dollars, le spectre de Madame Bovary qui le paralysait en permanence face à la page blanche, Dieu et la décadence de l’Angleterre, la différence entre les romanciers anglais et les écrivains français (‘chez vous quand on écrit, on pense; chez nous nous quand on écrit, on a une attitude sociale’). Ceux nombreux qu’il avait attaqués savaient qu’il se voulait un provocateur à la Lord Byron. Il avait apprécié la réalisation du film, et sa musique conçue comme un personnage à part entière ; mais il reprochait à Kubrick d’avoir montré la violence alors que le roman la cachait. Il lui en voulait surtout de son succès car la fortune d‘Orange mécanique à l’écran avait fait d’Anthony Burgess un parrain de la violence, image de lui qu’il détestait et qui le poursuivit d’interview en interview pendant des années. Quand le film était encore à l’état de projet, il craignait déjà qu’on le réduise à sa trame pure et que Orange ne soit que violence comme Lolita n’était que sexe, deux malentendus car dans les deux cas, c’était l’oeuvre d’écrivains qui avaient cherché à mettre en avant la langue. A un moment de cette journée passée ensemble, Burgess me parut bien amer : lorsqu’il convint, pour une fois à voix basse, que son oeuvre lui avait échappé quand elle fut éclipsée par le film. A jamais. D’autant que c’est le même titre. Il y a fort à papier que pour une génération, A Clockwork Orange est d’abord un grand roman, et pour une autre un film-culte.
Autre souvenir marquant, mais télévisé celui-là : la diffusion d’un face à face entre Anthony Burgess et Isaac Bashevis Singer en studio, tordant de cabotinage, dans lequel le polak madré laissa pérorer le Britannique sûr de ses effets avant de placer quelques observations bien senties et de laisser Burgess conclure par un ‘Je ne savais pas que c’était enregistré…’
Ultime réminiscence enfin : j’avais bataillé pendant des années pour m’entretenir avec Graham Greene à Antibes, en vain. Or dans mon entretien avec Burgess, celui-ci s’en prenait vertement à Burgess et racontait que les passants l’insultaient lorsqu’ils le voyaient à son balcon. Peu après, Greene m’appelait pour me dire ce n’était vraiment n’importe quoi car il habitait tout en haut de l’immeuble, ce qu’il m’invitait à vérifier. Je ne me le fis pas dire deux fois. Nous passâmes une journée délicieuse au cours de laquelle je pus enfin réaliser le grand entretien dont je rêvais, à condition de réserver un ou deux paragraphes à river son clou à Burgess. On comprendre que ma gratitude à son égard est éternelle.
—-
A Clockwork Orange is still a hot topic; it only lacks a racial dimension to the violence depicted to be truly modern. Burgess, behind the novel turned into the movie, invented its own language to fit the needs of the story. Kubrick took great liberties with the last chapter, which did not please Burgess, because it twisted the meaning of the story. In fact Kubrick based his film not on the 1962 UK edition in which the hero, now an adult, rejects violence as an infantile toy, but on the US edition in which the excuse of free will had become an invitation to sin. But it had nevertheless remained a meditation on the preferability of individual violence over the violence of the state.
I met Anthony Burgess in an old theatre in Amsterdam where he had the intention of conducting a symphony in 1988. It turned out to be a very pleasant day because he was bursting with memories, imprecations and bold statements. It was a festival of stories in a cloud of smoke, often brilliant: the film treatment for which he was only paid 500 dollars; the ghost of Madame Bovary which paralyzed him constantly when writing; God and the decadence of England; the difference between English and French novelists (‘when somebody from France writes, that person thinks; over here when one writes, one is striking a pose’). Those whom he had attacked – and there were many of them – knew that he wanted to provoke in the manner of Lord Byron.
He had appreciated the director’s work on the movie, and the music which appeared like a character in its own right ; but he reproached Kubrick for showing violence where the novel had concealed it. Mostly he held a grudge to Kubrick because of the success of the movie: that success on screen had made Burgess the godfather of violence, which he despised and which pursued him in interview after interview for years afterwards. Even when the movie was only a project he feared that the plot would be reduced to its bare bones and that A Clockwork Orange would only be about violence, just like Lolita was only about sex: two misunderstandings, because in both cases these were literary works with language as a central theme. A one point during that day spent together, Burgess sounded quite bitter, when he conceded for once in a low voice that his work had escaped him and that it had been eclipsed by the movie. Forever. Especially since the title was the same. It would not be surprising to think that for one generation A Clockwork Orange is above all a great novel and for others it is a cult movie.
Another striking memory, but this time linked to television : the conversation between Anthony Burgess and Isaac Bashevis Singer in a TV studio, full of Burgess hamming it up and in which the cunning Pole let the confident Brit steal the show before injecting a couple of well-chosen observations, and letting Burgess conclude with: ‘I did not know this was being recorded…’
A final memory to finish: I had fought for years to get an interview with Graham Greene in Antibes, but in vain. But during my talk with Burgess he attacked Greene in frank terms and told me that passers-by would insult him when they saw him on his balcony. Later, Greene called me to tell me that this was ludicrous because he lived on the top floor, and invited me to check. I accepted the proposal immediately. We spent a delicious day together during which I managed at last to do the long interview I had dreamt of, on the condition that I keep a couple of paragraphs free for him to put Burgess in the shade. One will understand that my gratitude towards him for this is eternal.
Pierre Assouline is a novelist, biographer and journalist. He has written books about Herge, Henri Cartier-Bresson, and George Simenon.